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Rosghyrne (Florian)

"Douleurs de haut niveau"
Florian ROSGHYRNE


Douleurs de haut niveau

Je n'ai jamais autant ressenti la fatigue dans mes membres, ils sont douloureux, ils me lancent, je crois que je ne peux plus marcher. Je lui avais dit à ce connard d'entraîneur que j'avais des courbatures pour m'être tapé une saturday night fever, une des rares occasions que j'ai de m'éclater dans la vie puritaine que je mène depuis que j'ai accepté qu'il m'entraîne.

La « tarlouse » que je suis n'a pas à danser, me dit-il, mon excuse est minable et non recevable selon monsieur! Je mérite ce qu'il m'arrive et il m'impose de faire un double entraînement pour mieux me fatiguer et me montrer à quel point j'aurais du l'écouter, plus que ma conscience. Je repense à ce stade trop grand et moi trop petit, je ne pourrais jamais faire un tour alors qu'il m'en demande 20. Je crois qu'après seulement 5 tours j'ai commencé à avoir les larmes aux yeux. A 15 tours je commençais à flageoler dangereusement des jambes mais j'ai tenu le coup, le corps meurtri. Je n'avais qu'une envie c'était de pleurer et crier comme jamais, mais j'ai levé la tête et je l'ai regardé dans les yeux lorsqu'il m'a demandé de sauter une première ligne de haie. Rien que l'idée de lever ma jambe était inconcevable ! J'avais envie de le supplier, je saute la première haie j'ai envie de lui cracher à la gueule, à la cinquième je pense déjà à la possibilité de lui entailler la gueule à coups de couteaux et à la dixième, je jubile en imaginant le lampadaire du stade se détacher et l’aplatir comme crêpe à la confiture orange sanguine!

L'entraînement est fini, je pars sans me doucher, je cours pour sortir, je cours encore un peu et je trouve un petit amas d'arbres pitoyables rongés par les champignons non loin du stade, je m'installe sur une souche, je prends ma tête dans les mains, je sens les larmes qui coulent le long de mes joues, cette fatigue, elle est si puissante, elle me vide, elle aspire ma vie, j'ai l'impression de pouvoir imploser rien qu'en expirant, une détonation et je disparais dans un fatras de muscles et de sang! J'ouvre la bouche en grand, j'essaye au maximum et j'attends. J'attends que les cris que je garde à l’intérieur de moi sortent enfin, j'attends la jouissance qu'ils doivent m'apporter. Je sens qu'ils viennent comme un frémissement avant de jouir, ils parcourent mon corps et tordent mon cou quand ils arrivent au niveau de la glotte ! Ce n'est pas un cri, ma voix n'est pas râle, ce qui sort de ma gorge est une torture. J'ai peine à croire que ce que j'entends vient de mon propre corps tant l'horreur et l'amertume y sont imprégnés!

C'était hier, mais je viens de le vivre encore une fois avec la même intensité, une réminiscence sans faute, une transposition temporelle intacte renforcée par la douleur du corps. Comme les femmes qui se font violer et qui sentent encore dans leur vagin ce sexe qui s'est introduit à leur insu encore des mois, des années plus tard! Je sens encore la lame qui cisaille mes muscles. J'ai l'impression que ma peau a fondu et que mes muscles sont désormais à vif, je me suis gavé le corps de médicament contre la douleur mais la douleur psychologique amplifie la douleur physique, je somatise. Certaines douleurs ne guérissent pas même avec des médicaments !

Je mords le bouquin que j'ai mis dans ma bouche pour ne pas crier en me levant, marcher relève du cauchemar, j'ai mal jusque dans la partie la plus infime de mon corps. Je pourrais sentir le potentiel d'action qui parcourt à l'instant mon neurone! Je dois aller au stade et rien que cette pensée embue mes yeux de larmes, qui tombent le long de mes joues, finissent leur lente descente en caressant la courbe de mon menton et finissent à mes pieds. Je ne sens plus l'humidité de mes larmes quand je marche dessus pour aller m'habiller dans la salle de bain! Quand je regarde mes habits posés sur la chaise, à côté de la baignoire, je repense à la manière que j'ai du utiliser pour me déshabiller, déchirer mes vêtements. Je n'avais pas le courage de me contorsionner pour enlever mon t-shirt trempé de sueur qui me collait à la peau, j'ai essayé de l'enlever, comme un scratch mes muscles se déchiraient sous l'effort. Je n'ai eu d'autre choix que celui d'en finir avec ces habits suintant la mort et la décrépitude! Il reste un tas d'habit épars et je ne sais distinguer le pantalon du maillot de corps. Il faut en prendre de nouveau, je n'ai pas les moyens physiques de mettre des sous-vêtements, pour minimiser ma douleur je ne mets que le strict nécessaire, quitte à avoir froid, cela me permettra de ressentir autre chose que les aiguilles émaillées dans mes muscles tel un canevas sanguinolent !

Je sorts et me dirige vers la gare ferroviaire, ma démarche est burlesque, un brin charlot et elle ne peut être autrement, je me demande à chaque pas si mes grognements sont audibles ou si c'est seulement moi qui les trouve étonnamment puissants ! Je suis enfin sur le quai, comme prévu la fraîcheur est intense et tout le monde me regarde parce que je n'ai qu'un pantalon, un t-shirt et des baskets sans chaussettes, je n'ai pas pris la peine de prendre un sac. Quand j'ai voulu le prendre tout à l'heure j'ai ressenti la douleur ultime, la douleur en trop celle qui fait déborder le calice. Je vais lui dire que s'en ai fini. Je respire cet air, il me gonfle les poumons, ma respiration étire mes muscles et m'asséne un désespoir grandissant, même mon système nerveux végétatif ne fonctionne plus correctement. Je me promets que cette douleur, lorsqu'elle sera partie, ne reviendra jamais, je ne le permettrai pas, mon corps ne le permettra pas.

Je prends le train, il a encore du retard comme chaque jour, je rentre au prix d'un immense effort et je reste debout à envier les gens qui peuvent s'asseoir, je regarde le strapontin et tente une position assise mais la tension sur mes muscles est trop forte, les aiguilles, elles me percent. Je commence à divaguer et à entrevoir les contours du stade, je me vois devant monsieur lui balancer en pleine gueule que je l'emmerde que j'en ai marre de ces conneries d'entraînement à la dure, que je ne suis pas lui et que moi je ne préfère même pas tenter une carrière que j'estime raté d'avance, que si lui a tenté le pactole et raté la mise c'est son problème. Mais les secousses du train me ramènent à la réalité, je me dis que ces trains sont tellement vieux et miteux que je me demande comment ils peuvent encore flotter sur les rails. Comme une pensée prémonitoire, les secousses s'intensifient. Je m'accroche plus fort à ma barre de maintient mais j'ai de plus en plus mal à me stabiliser. Il y a vraiment un gros problème, plus grave que mes morsures musculaires, cette fois je le sens et je le vois plus que net, le train penche dangereusement, je lis la stupéfaction puis la panique sur le visage d'une femme qui se dit qu'elle va mourir et qu'elle aurait aimé, encore une fois, serrer son enfant tendrement dans ses bras, je vois l'homme qui regrette amèrement l'engueulade avec sa femme à propos d'une chemise mal repassée et se dit que c'est un vrai connard et qu'il aurait pu le faire lui-même en se levant plus tôt, je vois le petit garçon à côté de son papa qui s'amuse de la détresse de son père comme une vengeance que lui-même n'aurait pas pu lui infliger, je vois mon reflet dans la vitre et à travers la vitre, l'arbre qui se rapproche. Tout a été tellement rapide, l'arbre qui traverse la vitre et démonte la porte au passage, l'explosion des bouts de verres, les cris, les déchirements. Je ferme les yeux car je ne veux pas voir mon corps se faire aplatir par l'arbre contre la porte de l'autre coté. Je rouvre les yeux un moment le temps d'apercevoir le petit garçon qui me regarde et me demande si je vais mourir. Je referme les yeux.

Je rouvre les yeux et fier de constater qu'il me reste encore de quoi les rouvrir et les fermer le soir pour m'endormir. La lumière est immaculée et intense, je reconnais le lieu plus à l'odeur qu'à la lumière blanche, je suis à l'hôpital! Mon regard est fixé au plafond, je ne peux pas bouger le cou, je ne peux pas voir ce que je suis devenu, je ne peux pas le sentir non plus. C'est à cet instant que je réalise que je ne sens plus mon corps, je ne sens plus cette douleur qui m'avait valu tant de souffrance, je me rends compte que je suis heureux et que je n'ai jamais trouvé la vie aussi belle et je ferme les paupières pour m'endormir à nouveau. Quand je me réveille Monsieur est là et la douleur est revenue mais ce n'est plus la même, cette douleur là est salvatrice elle me fait sentir que quelque chose a déchiré mon corps malgré moi et non pas avec moi, avec mon accord. Monsieur me regarde avec une tête faussement triste, il l'est probablement parce qu'il va prendre du retard sur le planning d'entraînement et que ma saison est sûrement fichue, que tout est à refaire et que tous les efforts qu'il a fournis jusque là sont vain. Il m'annonce qu'une branche m'a traversé de part en part mais qu'elle n'a touché aucun organe vital. Il me dit que je suis un miraculé et que je suis une des rares personnes à avoir survécu à l'accident dans un état presque indemne. Les seuls autres rescapés sont une femme âgée qui s'en est sorti avec quelques contusions et un petit garçon qui a eu le bras cassé en deux endroits. Je regarde Monsieur sans rien dire et il me dit que je serais sur pied dans quelques mois voire quelques semaines selon lui, j'acquiesce sans réfléchir en me demandant si la femme est celle que j’avais vu vêtue de panique dans le train, et médite sur le sort du petit garçon.

Monsieur me dit qu'il s'en va et qu'il repassera dans quelques jours pour diagnostiquer ma capacité de régénération et pouvoir établir un hypothétique programme de réhabilitation. Il s'en va et je ne fais pas attention à lui, c'est quand il tourne la poignée de la porte que je réagis et tourne les yeux vers lui, je marmonne quelque chose dans le but d'attirer son attention. Il s'approche et je prends sur moi pour articuler chaque mot qui sort de ma bouche, je lui dis qu'il aille se faire mettre, accompagné de plusieurs insultes soigneusement choisies dans le but de susciter en lui le doute et qu'il ne mette pas ça sur le compte du choc. Il me regarde et ne dit rien, pas même un rictus dans l'espoir de comprendre son dialogue intérieur. Il fait volte face et se dirige de nouveau vers la porte. Il tourne la poignée et commence à s'introduire dans l'espace pour sortir, avant qu'il referme la porte, je l'interpelle de nouveau, je pense au petit garçon et je dis pour la première fois à mon père que je l'aime parce qu'avant ce jour là ça ne m'était jamais arrivé.

© Florian Rosghyrne

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