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Bourgeois-Potage (Jean-Pierre)

Bourgeois-Potage
par Alain Bosquet


BOURGEOIS-POTAGE, BOURREAU TRIOMPHAL

Les expressions de la terreur ne sont pas fréquentes en peinture. Depuis GOYA, maître en la matière, il n’est que Francis BACON à en avoir offert les aspects les plus confondants. Les expressionnistes allemands, eux, s’ils ont peint des êtres en déliquescence, ont toujours conféré à leurs œuvres un caractère antisocial ou satirique. C’est pourquoi les tableaux de BOURGEOIS-POTAGE apparaissent comme une exception dans la peinture de notre pays. Artiste rare, il n’expose qu’à bon escient et attend de disposer d’une série de tableaux parfaitement homogènes avant de les livrer au public. L’ouvrage actuel le montre en possession de son talent de son talent hors du commun. D’abord, il faudra franchir, en quelque sorte, deux obstacles : admettre qu’une peinture n’est jamais achevée, d’où des coulées qui semblent nier les toiles et ensuite, un recours constant au paroxysme exprimé par chaque visage ; car ce sont ceux-ci qui subjuguent et intriguent le spectateur. Les personnages sont toujours assis : au repos, cigarette à la main ou la rêverie à fleur de peau, ils sont plus terrorisés que si tout le corps était en révulsion. Ces hommes et ces femmes semblent s’accepter comme installés dans la frayeur. Les yeux exorbités, les traits livides, la laideur flagrante, les voici qui pensent à leur vie. Ils s’intériorisent au lieu de s’extérioriser et il se dégage d’eux comme une pure pudeur tant ils se savent perdus, inutiles, solitaires, ustensiles parmi les ustensiles, objets usagés parmi les objets usagés. GRUBER, il y a un demi-siècle, avait de livides moments comme ceux-ci. La vérité en est profonde, grave et comme au-delà du cauchemar. Peut-on dire d’un art qu’il aide à comprendre l’attitude la plus dépressive avec sérénité ? Ce serait le cas pour BOURGEOIS-POTAGE. Il y a lieu de se demander ce que l’œil retient de son monde visible, ou objectif. Ce sont – huit fois sur dix – des hommes debout, immobiles ou assis, tantôt sur un tabouret, tantôt dans un fauteuil. Les traits sont haves, tirés, tragiques, avec un menton proéminent, un nez décharné et des yeux exorbitants au point de faire deviner le crâne. Les mains, elles, sont souvent croisées. Le reste du corps est comme inachevé, car selon la logique du peintre, c’est la matière qui doit le suggérer. Ce que les visages ou les mains traduisent, c’est, croit-on en premier lieu, une intense terreur et une paralysie absolue. Revenu de cette surprise, on est amené à plus d’équilibre et on s’interroge : il se pourrait que ces personnages soient simplement en proie à leur propre intériorité. Ils en souffrent, mais ne vont pas jusqu’à l’agonie. A ce stade de l’analyse – et du mystère – on commence à faire confiance, en quelque sorte, à la technique employée. La matière s’égoutte doucement ou violemment vers le bas, mais aussi vers le haut. Le personnage s’en trouve désincarné aux trois quarts. Le spectateur se dit que cette dissolution se produit dans l’esprit du personnage autant que dans son corps. Le conflit intime – la lutte tranquille avec soi-même à coup sûr – fait que le spectateur est sollicité. Le tableau peut passer pour agressif ou accrocheur. Bientôt il devient plus pervers et même inévitable : c’est bien la nature humaine tout entière que BOURGEOIS-POTAGE représente. Nous sommes là au repos et soudain, la matière refuse de nous obéir. Nous nous effondrons, nous nous disloquons, nous disparaissons sur place. La forme est promise à une métamorphose douloureuse ; Quelque chose pourtant nous dit que, malgré ces épaules en bouillie, ces jambes en écharpe, ce cou débarrassé de sa tête, malgré cet état mou et inconstant, nous pourrons rester ce que nous sommes avec nos abîmes désormais découverts et comme proclamés. On l’a deviné : BOURGEOIS-POTAGE va uniquement à l’essentiel, de la façon la plus directe et la plus secouante. Son originalité ne peut faire aucun doute, bien que l’on puisse lui trouver des voisins comme GIACOMETTI quand il dessine, ou BACON quand il s’abstient de terminer ses personnages. L’esprit ici est tout autre : il s’agit de suggérer qu’il est dans la nature humaine de se ronger, de se détruire, de rêver à soi jusqu’à ce que le corps soit gravement affecté. De surcroît, il réalise une osmose audacieuse entre la couleur qui refuse de prendre forme et le personnage en pleine mutation cruelle. Moins désespéré qu’il ne paraît, il incorpore dans ses tableaux des zones minuscules où tout est calme, minutieusement rendu, délicat ; au milieu de la terreur surgit une manière de bijou : quelques phalanges jointes, par exemple. Ce bourreau de majestueuse allure manifeste aujourd’hui son triomphe. Il sera un peintre qui compte.

Alain BOSQUET

LE QUOTIDIEN DE PARIS 25 Avril 1991


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